Nostalgeek Creepshow Jour-08: Les Dents du Marais

On raconte qu’au bord du village de Molarenne, là où les lampadaires cessent de briller et où la brume rampe sur la route, s’étend un vieux marais gris et sans fond.
Les roseaux y murmurent la nuit, les flaques y frissonnent toutes seules, et les grenouilles se taisent dès qu’on prononce son nom.
Même les moustiques semblent l’éviter, comme s’ils savaient qu’il s’y cache quelque chose de plus ancien, de plus affamé qu’eux.

Les habitants ferment leurs volets tôt. Les chiens hurlent sans raison. Et parfois, au petit matin, on retrouve sur le pas d’une porte une empreinte humide, ronde et luisante, comme la trace d’une main d’enfant revenue des marais.

Il y a bien des années, dit-on, une véritable Fée des Dents aurait disparu dans ces eaux. Elle venait chaque nuit, légère comme une brise, laissant derrière elle des paillettes et le tintement des pièces neuves.
Mais une fois, elle s’aventura trop bas. On dit qu’elle entendit un chant dans la vase, un murmure qui promettait des trésors encore plus blancs que les dents d’enfant.
Elle plongea.
Et le marais la garda.

Certains anciens jurent qu’à la pleine lune, on la voit encore, tirée par la vase, les ailes couvertes de limon, pleurant des dents comme d’autres pleurent des larmes.
D’autres disent qu’elle n’est plus elle-même : que la Fée a changé, que la douceur a pourri dans son cœur et que le sucre s’est mêlé à la chair.

Depuis cette nuit-là, quand les enfants de Molarenne glissent une dent sous leur oreiller, ce n’est plus une pièce qu’ils trouvent au matin… mais aussi de la boue.

Cette histoire commence un soir d’été, dans une petite maison au bout du village.
L’air était chaud, lourd, saturé d’humidité. Les lucioles tournoyaient comme des braises au-dessus du jardin, et les crapauds chantaient dans les fossés.
À l’intérieur, les volets claquaient doucement, et la veilleuse en forme de licorne diffusait une lumière rose et rassurante sur le lit.
Sous l’oreiller, une dent attendait sagement, bien enveloppée dans un mouchoir à carreaux.
Le garçon, fier comme un roi, s’endormit le sourire aux lèvres, rêvant déjà de la pièce brillante du matin.

Mais dehors, la nuit s’épaississait.
Les grillons cessèrent de chanter.
Le vent fit frémir la haie, et un bruit se fit entendre, d’abord lointain, puis tout proche.
Un ploc, comme une goutte d’eau tombant d’un plafond qu’on ne voyait pas.
Puis un chplok, comme un pied nu sur du carrelage mouillé.
Et enfin… un rire.
Un rire si étouffé qu’on aurait dit qu’il sortait d’une bouche pleine de boue.

La porte s’ouvrit toute seule, lentement, grinçant comme une mâchoire qu’on force à parler.
Une odeur étrange s’infiltra dans la pièce : mélange de boue, de fer et de bonbon périmé.

Sous le lit, deux yeux jaunes s’allumèrent.
Puis une petite main visqueuse en sortit, tenant une brosse à dents rongée, couverte d’un dépôt verdâtre.
Une voix rocailleuse, trempée d’eau croupie, chuchota :
— « Héhé… alors, petit, t’as perdu quelque chose ? »

Le garçon ouvrit les yeux, sans pouvoir crier.
Le drap se souleva d’un coup.
Et là, dans la lumière tremblotante de la licorne, la Fée apparut.

Un petit corps vert, couvert de mousse et d’algues.
Des ailes en plastique transparent, volées à une poupée.
Et sur sa tête tordue, une couronne faite de dents d’enfants enfilées sur un fil de pêche.

Le Boglin-Fée sourit.
Ses gencives luisaient, parsemées de dents trop nombreuses, trop pointues.
— « Une bien belle dent, ça… bien blanche, bien juteuse. »

Il sortit une petite bourse en cuir humide et y plongea la main.
Une pièce en tomba, couverte de sang séché.
Mais au moment de la poser sous l’oreiller, la créature s’arrêta.

Son regard se posa sur la bouche entrouverte de l’enfant.
Une autre dent bougeait déjà.
Presque prête à tomber.
— « Héhé… pourquoi attendre demain ? »

Le Boglin s’approcha, sortit un petit outil rouillé.
Un clic.
Un crac.
Et un hurlement muet, avalé par le tonnerre dehors, déchira le silence de la maison endormie.

Le lendemain matin, les parents trouvèrent le garçon endormi, un sourire étrange aux lèvres.
Sous son oreiller, il y avait une pièce, brillante et froide.
Mais quand ils voulurent la prendre… ils remarquèrent la trace humide qu’elle laissait sur le drap.
Et juste à côté, une empreinte minuscule, comme laissée par une main gluante.

Dans le village, les chiens refusaient de s’approcher du marais.
Les caniveaux bruissaient d’un son étrange, un cliquetis, comme des dents qui s’entrechoquent.
Et chaque nuit, au-dessus des eaux sombres, on voyait danser une faible lumière rose — une veilleuse de licorne, flottant sur la vase comme un souvenir d’enfance perdu.

On dit que les marais de Molarenne avalent tout ce qui rit trop fort.
Alors si un jour, toi aussi, tu entends rire sous ta fenêtre…
Ferme bien la bouche avant de t’endormir.
Car la Fée des Dents du Marais ne prend pas que les dents sous l'oreiller.
Et les rats du marais, dit-on, ont des sourires étrangement humains…