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Nostalgeek Creepshow Jour-20: Carnage dans la Poudreuse

Dans les années 80, la station de ski Glissaparc vivait ses plus belles saisons. Les combinaisons étaient fluo, les gaufres dégoulinaient de sucre, et la mascotte locale, Yéti Cool™, trônait partout. Peluche géante blanche et mauve, sourire figé, regard vide, il incarnait la montagne heureuse — celle des familles qui riaient en oubliant les prix des forfaits. On vendait des mugs phosphorescents, des bonnets à pompons, des gaufres à sa tête et des glaces à son nom. Même les chiens en peluche portaient son logo.

Puis la mode passa. On transforma le local des mascottes en fondation de la nouvelle patinoire. On y laissa le costume, sans trop y penser, et on coula le béton par-dessus. Le Yéti s’y affaissa dans le froid, prisonnier sous la glace, ses yeux de plastique fixés sur le néant. Quand la dalle se referma, un dernier petit bruit s’échappa, comme un soupir de vinyle sous la neige.

Quarante ans plus tard, les investisseurs revinrent, armés de PowerPoints et de nostalgie synthétique. Le concept : YÉTI PARTY REVIVAL. DJ sur dameuse, cocktails sans sucre, influenceurs en combi vintage et vin chaud 0%. Slogans : “Revivez la légende !” “Ressentez la fraîcheur du passé !” Le genre de phrases qu’on écrit avant de creuser sa tombe.

Les ouvriers dégivrèrent la patinoire. Sous la glace, ils découvrirent une forme. Blanche, gonflée, croustillante de froid. Ils crurent à un stock oublié de mascottes. Ils soulevèrent la bâche. L’air s’engouffra. Et Yéti Cool™ rouvrit les yeux.

Sa fourrure sentait la naphtaline, la poussière et la rancune. Ses griffes craquaient comme des stalactites qui rêvent de couler. Le monde avait changé : plus de gaufres grasses, plus de rire vrai, plus de vin chaud à 40 degrés. Seulement des écrans, des filtres et des gens qui souriaient à des reflets.

Le Yéti se redressa. Chaque geste faisait tomber des morceaux de glace et de chair figée. Son souffle laissa un nuage sale dans l’air. Dehors, la fête battait son plein. On lançait le grand show. Le directeur, cravate fluo et dents blanchies, annonça :
— Et maintenant, le grand retour de notre légende locale… YÉTI COOL™ !

Les projecteurs balayèrent la place. Les téléphones s’allumèrent. Une influenceuse, Gigi Glacier, tendit le micro, lèvres vernies, rire mécanique.
— Un mot pour tes fans ?

Le Yéti ouvrit la bouche. Le son qui sortit n’était pas un mot, mais une déchirure : un râle profond, long, venu du ventre du monde, comme si un glacier millénaire craquait de douleur. Ce n’était pas un cri d’homme, ni même d’animal, mais celui d’un souvenir gelé qui se brisait. La foule applaudit, convaincue d’assister à un effet spécial. Sous sa patte, pourtant, la glace se mit à trembler. Des fissures se formaient, fines comme des veines. La neige vibrait, résonnant avec le battement lourd qui montait dans sa poitrine. Dans ses narines, l’air se chargea d’une odeur ancienne : celle du fer chaud, de la chair ouverte, du vrai sang. La nostalgie prit une couleur écarlate.

Un serveur trébucha, renversant un pichet de vin chaud bouillant sur la fourrure. La vapeur siffla aussitôt, envahissant l’air d’une odeur âcre de sucre brûlé et de plastique fondu. La matière se tordit, se crevassa, révélant en dessous une chair marbrée de givre. Le serveur voulut reculer, mais la patte du Yéti, animée d’un vieux réflexe, se referma sur lui. Elle remonta, lentement, en tirant le bras, comme une marionnette cassée. Les os craquèrent comme du sucre glace, le sang jaillit en nappe sur la neige, éclat rouge sur toile blanche. La foule recula, fascinée. Un murmure se répandit : « WOW! C’est réaliste ! »

Puis le serveur s’effondra. Et le Yéti comprit qu’il n’était plus une mascotte.

Son regard se teinta de rouge, comme si la glace fondue derrière ses yeux s’était changée en lave. Le vieux monde se ralluma dans ses veines : celui des bêtes, du froid et de la faim brute. Il sentit chaque battement de son cœur résonner jusque dans ses griffes. La neige semblait se teinter d’elle-même, impatiente. Le Yéti arracha les projecteurs, leurs câbles s’arrachant avec un bruit de chairs déchirées, et les lança dans la foule. Les ampoules explosèrent sur les crânes, projetant des éclats de verre et des gerbes de sang incandescent. Les corps s’écrasèrent dans la poudreuse, se tordant, se heurtant, dessinant des cercles parfaits — comme des logos, rouges et blancs, estampillés par la mort.

La panique monta. Le DJ tenta de couvrir les cris avec un remix de I Will Survive. Le Yéti bondit sur la scène, arracha les câbles et en fit un collier d’intestins. Le son se coupa net, remplacé par un gémissement de métal et de vent. Il enfonça une tête dans un tambour de basse et la fit résonner comme une caisse claire.

Les combinaisons fluo fuyaient dans la neige, traînant des filets de sang derrière elles comme des rubans macabres. Les corps glissaient, s’entrechoquaient, laissant des traînées écarlates sur le blanc immaculé. Certains trébuchaient sur des morceaux humains – un pied en moon-boot, une main encore gantée qui bougeait par réflexe. Les hurlements se mêlaient au crissement des skis et au claquement du vent. On glissait sur la peur, littéralement, sur le sang qui gelait trop lentement. Les bâtons plantés formaient des croix tordues dans la poudreuse. La station tout entière tournoyait dans un ballet grotesque, un carrousel de viande, de néon et de lumière, où chaque virage arrachait un cri et chaque chute un morceau de chair.

Sur le balcon du restaurant d’altitude, Gigi filmait encore. Son téléphone vibrait de likes.

— C’est du jamais vu ! #YetiAuthentique !
Le Yéti la rejoignit d’un bond, projetant la poudreuse en gerbes rosées. Elle eut le temps d’un sourire figé, les yeux encore rivés sur son écran. Il la saisit par les jambes, la souleva d’un geste sec, la retourna tête en bas, et la secoua comme un cocktail trop sucré. Ses os claquaient dans ses hanches, ses bras battaient l’air comme ceux d’une poupée déglinguée. Le sang gicla de son nez, formant des arabesques dans la lumière des spots.

Puis il l’envoya tournoyer contre la rambarde ; un craquement, un éclat de dent, une traînée écarlate sur la vitre. Son téléphone glissa de sa main, diffusant en direct son dernier gargouillis et le reflet du monstre qui se penchait sur elle, la langue sortie, curieuse du goût.

Quand le silence retomba, le vent siffla doucement à travers les branches et les câbles. Le Yéti leva la tête vers les montagnes. Son poitrail fumait. Dans ses yeux, les reflets des flammes de la buvette. Il poussa un cri, long, guttural, qui fit frissonner la neige sur les pentes. Un hurlement d’époque révolue.

Le lendemain, on parla de catastrophe. De dysfonctionnement électrique. De sabotage. On compta les morts, puis les vues. Les agences de com flairèrent l’opportunité.

Quelques semaines plus tard, YÉTI EXPERIENCE™ ouvrit ses portes. Piste rouge thématique, mannequins ensanglantés, son spatialisé, boutique de souvenirs. On vendait des peluches, des mugs, et des bonnets “édition massacre”.

Sur les affiches, le nouveau logo souriait : un Yéti propre, design, poli. Le slogan disait : “Le frisson, version famille.”

La nuit, pourtant, dans les zones interdites, certains employés entendaient grincer les dameuses. Parfois, on voyait une silhouette blanche sur la piste, immobile sous les spots. Elle respirait. Ou peut-être que la montagne respirait à travers elle.

On disait qu’il veillait encore sur Glissaparc.
En réalité, il attendait qu’on relance la saison.