Nostalgeek Creepshow Jour-14: La Nuit des Bananes vivantes

L’air sentait l’ozone et la poussière chaude, les bobines grésillaient comme des serpents de cuivre, et au-dessus de la colline, le ciel lançait une lueur verdâtre de fin du monde.

Dans un coin oublié de Townsville, sur une colline rongée par la rouille et la pluie acide, un laboratoire crachait encore de la lumière, c'est là que vivait Mojo Jojo, le singe le plus savant, le plus bavard et le plus seul du monde.

Ses machines chantaient, ses bobines grésillaient, et les murs vibraient sous la répétition frénétique de son nom.
Mojo Jojo aimait s’entendre parler autant qu’il aimait s’entendre penser.
Et ce soir-là, il contemplait sa plus grande découverte : une banane irradiée, ramenée d’un satellite soviétique tombé du ciel.

Le fruit brillait d’un jaune maladif, strié de veines mauves qui pulsaient comme un cœur impatient. Il vibrait d’une énergie insolente, exhalant une vapeur sucrée qui faisait frémir l’air autour de lui. On aurait dit qu’il respirait, qu’il se gorgeait d’une vie propre, oscillant entre la friandise et l’explosion. Sa peau se tendait, luisante comme un soleil malade, prête à éclater en révélant une promesse radioactive de génie et de démence.
« La Banane Quantique ! » proclamait-il.
« Le secret du savoir infini ! Le triomphe de la science sur la sucrerie ! »

Tout était prêt : un mixeur, une seringue, un casque bardé d’ampoules et une foi absolue en lui-même.
Ce qu’il n’avait pas prévu, c’était la faim – pas celle du ventre : celle du génie.
La faim de comprendre. La faim de tout savoir.

Il goûta.

Le mélange avait la texture du métal et le goût de l’orgueil brûlé.
Pendant un instant, rien.
Puis son crâne se mit à bourdonner comme une ruche en furie.
Ses pensées se multiplièrent, s’empilèrent, s’entrecroisèrent.
Il comprenait tout… et surtout qu’il n’était plus capable de s’arrêter.

Les aiguilles de ses machines tournaient folles. Les ampoules dansaient.
Mojo riait, d’un rire plein de lumière et de folie.
Son cerveau gonflait, étirant la peau de son crâne comme un ballon cosmique.
Des bulles translucides s’échappaient de lui : des pensées matérialisées, ricanant comme des fantômes.

L’une chuchota : « Dominer le monde. »
Une autre : « Dominer le monde avec style. »
Une troisième : « Penser à dîner. »

Elles se multipliaient. Rebelles. Hystériques. Incontrôlables.
Mojo tenta de les attraper, de les remettre à leur place.
Mais chaque bulle éclatée en faisait naître deux autres.
Le laboratoire entier fut bientôt saturé de lui-même.

Les machines vibraient à l’unisson de son délire.
Les murs se penchaient comme des spectateurs inquiets.
Et au centre de tout cela, la banane battait comme un cœur atomique.
Mojo comprit trop tard : il ne l’avait pas mangée – elle l’avait avalé.

La gravité se plia.
Les horloges fondirent.
Le monde prit la forme d’un fruit mûr prêt à éclater.

Mojo hurla – un son entre la sirène et le rire.
Puis vint la lumière : blanche, dense, bourdonnante.
Un œuf de feu et de cervelle avala le laboratoire.

Quand la poussière retomba, il ne restait qu’un cratère fumant.
Dans les débris, une main noircie serrait un carnet carbonisé.
Sur la dernière page, une phrase griffonnée à la hâte :

« Je sais tout...

 Je suis tout...

Je suis bananes!»

Puis le monde reprit son souffle, comme si la planète elle-même venait de penser trop fort.

Le lendemain, Townsville se réveilla sous une pluie étrange. Pas d’eau : des bananes. Des milliers de petites bananes luisantes tombaient du ciel comme les excuses d’un dieu maladroit.

Les habitants riaient, filmaient, goûtaient.
Un vendeur de journaux récita la table des éléments en sanskrit.
Une vieille dame fredonna du Beethoven à l’envers.
Un chien écrivit son nom dans la poussière avant d’aboyer en morse.

Puis tout redevint normal.
Ou presque.

Dans les nuages, on distingua un instant un visage familier : large, simiesque, ridé, à moitié souriant.
Mojo Jojo, disséminé dans l’atmosphère, contemplait son œuvre.
Sa voix roula comme un tonnerre satisfait :

« Enfin… je suis partout. »

Le visage se dissipa.
Le silence retomba.

À la télévision locale, les journalistes évoquèrent « un phénomène météorologique sans gravité ». Les autorités assurèrent que tout était sous contrôle, tandis que quelques scientifiques proposaient déjà d'étudier ces fruits tombés du ciel pour en faire une boisson énergétique. Dans les cafés, on débattait en riant de la pluie de bananes comme d’un miracle publicitaire raté.

Les Super Nanas en sortant de l’école, levèrent les yeux vers le sol couvert de fruits.
Bulle en goûta une.

— Ouais. Pas mûre.

Belle fit une moue, plissant le nez.
— Goût bizarre, dit-elle.
Rebelle haussa les épaules.
— Ca a un goût de zoo au petit matin.

Personne ne remarqua la légère lueur verte dans leurs pupilles.

Et quelque part, dans un coin de la stratosphère, une banane éclata de rire. L’histoire du singe le plus intelligent du monde – celui qui voulut tout comprendre et finit par se dissoudre dans sa propre idée.

Le savoir, après tout, c’est comme les fruits exotiques : quand ça brille dans le noir, mieux vaut ne pas y goûter.