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Nostalgeek Creepshow Jour-12: Rien à perdre

(Rire grinçant, générique criard et écran plein de néons baveux)

Bonsoir, les sportifs de l’extrême ! Ce soir, dans votre émission préférée CREEPSHAPE, on parle de forme, de ligne et de digestion équilibrée.
Ah, mes petites proies des plateaux de muscu et des brunchs détox, ce soir, on va transpirer de peur et fondre de plaisir ! Vous savez ce qu’on dit : il faut souffrir pour être belle… et se faire bouffer pour être mince !

Alors, sortez vos leggings les plus moulants, vos barres protéinées et votre bonne conscience : ici, le cardio se fait à coups de crocs et la motivation se digère tout entière !
Au programme : un peu de stretching, beaucoup de mastication, et un massage profond de l’égo… à l’intérieur comme à l’extérieur.

Enfilez vos baskets, attachez bien vos tripes et verrouillez vos espoirs de survie, car ce soir on vous emmène dans le club qui fait un malheur, le Muscle & Munch !

Mais assez parlé, mes athlètes de l’effroi… passons à la mise en bouche !

Les gens voulaient fondre vite, brûler sans douleur, sculpter sans effort. Les applications comptaient les pas, les bracelets suivaient les battements du cœur, et les miroirs ne reflétaient plus que des chiffres. Les chambres baignaient dans la lumière bleutée des écrans, la seule flamme qui ne s’éteignait jamais. Les influenceurs s’y consumaient en direct, silhouettes parfaites disparaissant lentement dans le halo artificiel de leurs stories.
On se pesait plus souvent qu’on ne se parlait. Les repas étaient remplacés par des shakes, les sourires par des filtres. Le monde entier s’entraînait devant son propre reflet, persuadé que la perfection commençait là où la chair disparaissait.

Les trottoirs sentaient la sueur synthétique, les publicités chuchotaient : sois plus mince, sois plus pure, sois moins toi. Les gens se fondaient dans leurs écrans, avalés par la promesse du contrôle total.

Et puis un soir, au milieu de cette ère de plastique et de culpabilité, apparut une enseigne clignotante au fond d’une rue oubliée.
Elle promettait quelque chose d’extraordinaire, d’impossible, d’effrayant :

Des résultats monstrueux.

Le Muscle & Munch ouvrit dans une zone commerciale oubliée, coincée entre un pressing et un magasin d’enseignes lumineuses. La façade vibrait d’un halo rose sale et bleu électrique, comme un rêve aérobique sous acide. Les lettres du panneau semblaient suer une graisse phosphorescente qui dégoulinait sur les vitres. À travers la buée colorée, on apercevait des silhouettes en mouvement, comme si la salle bougeait seule, avalant et recrachant les corps au rythme d’un vieux synthétiseur déglingué. Des haut-parleurs crachaient une musique motivante, entre le générique d’une VHS de fitness et une marche funèbre remixée.

La nuit, les lampadaires voisins semblaient se pencher pour écouter les cris étouffés derrière la verrière. Ceux qui passaient devant prétendaient sentir l’odeur du caramel brûlé et du plastique chaud, avec parfois une note de fer et de vanille.

Son slogan, peint à la bombe, promettait :

“+10 kilos perdus garantis en une nuit, ou on vous rembourse!”

Lila Flex, influenceuse fitness, prêtresse du “self-care” numérique. Avec ses leggings pastel et son shaker de chlorelle, elle décida de tester l’endroit pour son public. Sa dernière vidéo commençait par : “Si cette salle tient ses promesses, mes amours, je vous donne le lien direct !”

À minuit pile, les portes automatiques s’ouvrirent avec un soupir humide, comme un ventre repu qui s’étire après le repas. Lila hésita sur le seuil : une chaleur moite, animale, lui caressa le visage. L’air sentait la sueur, le plastique chaud, le pop-corn brûlé, et quelque chose d’autre — une note métallique, comme un souvenir de sang séché.

À l’intérieur, tout brillait sous des néons roses et turquoise, mais la lumière semblait vivante, palpitante, presque organique. Les ampoules pulsaient comme des cœurs au bord de l’explosion. La moquette spongieuse aspirait ses pas, émettant un petit bruit de succion à chaque mouvement. On aurait dit marcher sur une langue géante.

Un ventilateur grinçait au plafond, tournant paresseusement, brassant des effluves de désinfectant et de sucre fondu. Au fond, une fontaine à eau gargouillait dans un ton qui ressemblait à un rire étouffé.

Des affiches couvraient les murs : des silhouettes d’hommes et de femmes trop parfaits, la peau brillante comme du vinyle, entourés de créatures poilues en survêtement turquoise, leurs bouches pleines de dents, soulevant des haltères fluorescents. Des affiches couvraient les murs : des créatures poilues en survêtement turquoise, leurs bouches pleines de dents, soulevant des haltères fluorescents.

— Trop mignons ! rit Lila, caméra à la main. On dirait des peluches !

Un des petits monstres leva la tête, ses yeux ronds brillant d’un éclat carnivore.
— Coach Kritz, dit-il d’une voix râpeuse, gutturale, qui roulait dans la pièce comme une pierre sur du verre. Sa mâchoire claqua une première fois, sèche et métallique, avant qu’il ne dévoile un sourire disproportionné, plein de dents fines et translucides. Ses yeux luisaient d’un éclat mouillé, entre la faim et l’amusement. Il portait un survêtement turquoise deux tailles trop petit, tendu sur une masse de poils hérissés, et une casquette de coach brodée d’un slogan effacé : “Eat your limits.”

Autour de sa bouche, la fourrure était plus sombre, tachée, comme si quelque chose d’épais y avait séché. Lorsqu’il parlait, un filet de salive pendait à ses lèvres, oscillant doucement au rythme des néons.

— Ici, on fait fondre les graisses, dit-il, un souffle chaud et rance lui effleurant la peau. À la source.

Lila gloussa. Une blague, forcément. Marketing immersif, pensait-elle. Elle posa son téléphone pour filmer son “avant/après”. Les Critters roulèrent hors de l’ombre, petits ballons de poils hérissés, dents étincelantes, ventres gargouillant d’impatience.

Lila se laissa guider vers un tapis de course. Le sol vibrait sous ses baskets comme si la salle respirait. Le panneau d’affichage indiquait « CHALEUR ACTIVE : 666 CALORIES MINIMUM ». Elle posa une main sur la rampe ; le métal était tiède, presque moite, et battait d’un rythme lent, comparable à un pouls.

Coach Kritz plaça un doigt griffu sur le bouton « DÉMARRER » et le tapis se mit à avancer tout seul. Lila rit nerveusement, posant ses écouteurs comme si tout cela faisait partie de l’expérience. La bande se déplaçait à une vitesse parfaite, un tempo de clip fitness. Elle se sentit obligée de suivre, d’abord lentement, puis plus vite, sous les encouragements des créatures qui l’entouraient.

Les machines commencèrent à s'éveiller dans un frisson métallique. Lila sursauta : un premier clic résonna, suivi d’un long gémissement d’engrenages rouillés. Les écrans d’entraînement s’allumèrent dans la pénombre, projetant des silhouettes humaines qui s’exerçaient, mais dont les mouvements semblaient légèrement… désarticulés.

Les pédales des vélos tournaient avec un claquement sec, chaque rotation grinçant comme le bruit d’une mâchoire qui s’ouvre et se referme, prête à happer le premier mollet venu, et un tapis de course vibra d’un ronronnement trop guttural pour être mécanique. Des câbles se tendirent, des leviers palpitaient, et la lumière clignotait au rythme d’une respiration haletante. Chaque appareil semblait attendre, impatient, que quelqu’un vienne nourrir sa routine.

Un écran mural s’alluma, clignotant :

“Programme Crunch & Burn ”

Lila observa l’écran, puis le tapis de course, hésitant une seconde avant de grimper dessus. Quelque chose en elle criait de s’enfuir, un instinct ancien, animal. Mais au moment où elle croisa son reflet dans la glace, elle resta figée. Son visage paraissait plus fin, ses joues légèrement creusées. Était-ce la lumière ? Son cœur accéléra. Une euphorie étrange lui monta à la tête. La peur recula d’un pas, remplacée par une fascination douce et malsaine. Le caoutchouc vibrait sous ses pieds, émettant un bourdonnement sourd, comme un ronflement de bête endormie. Elle lança un regard amusé à son téléphone qui filmait encore depuis le comptoir, ajusta sa queue de cheval et se mit en position. Les Critters l’encourageaient, frappant des pattes en cadence. Coach Kritz croisa les bras, un large sourire étirant sa gueule hérissée de crocs.

— Allez, championne ! rugit-il. Attendris-moi ta viande !

Lila se mit à courir, encore amusée. Pourtant, à mesure que la bande défilait sous ses pieds, quelque chose changeait. Ses bras s’affinaient, sa taille se dessinait, et son reflet dans les miroirs semblait se redresser tout seul. Elle sentit son souffle s’accélérer, mais sans fatigue — comme portée par une énergie extérieure. La peur revint un instant, fugace, avant de s’éteindre, anesthésiée par la promesse d’un corps parfait. Sa respiration devint une prière muette, ses yeux fixés sur l’écran qui affichait en rouge : -0,5 kg... -0,8 kg... -1,1 kg...

Un sourire béat figea son visage. Chaque pas la rapprochait d’une version plus mince, plus belle, plus irréelle d’elle-même. Autour d’elle, le monde pouvait bien trembler : elle ne voyait plus que le nombre, hypnotisée, docile, heureuse.
La salle semblait respirer à son rythme. Chaque inspiration faisait palpiter les murs, chaque exhalation faisait grincer les machines comme des côtes qui s’écartent. Les néons pulsaient dans la même cadence que son cœur, et la musique, autrefois techno, se mua en un battement organique. Lila crut sentir le sol se soulever, comme si la pièce entière inspirait son effort. Sa sueur glissait sur la moquette qui la buvait lentement, et le tapis roulait sous elle comme une langue impatiente.
Elle était devenue une partie de la salle, un cœur qui pompe, une proie qui nourrit le monstre.

— Allez la team Flex ! Pas d’excuses ! On brûle des calories ensemble !

La salle vibrait au rythme de sa respiration. Les Critters tapaient des pattes, hurlant des “Push it !” gutturaux. Les haltères tremblaient d’excitation, les miroirs pulsaient comme des veines. Une odeur de sucre cramé et de chair montait doucement.

Le tapis accéléra. Sous ses pieds, la bande devint molle, presque vivante. Elle sentit un frisson la parcourir, puis une morsure à la cheville.

— Aïe !
— Correction de posture ! ricana Coach Kritz.

Le sang éclaboussa le miroir. Lila cria, mais autour d’elle les Critters applaudirent, fébriles.
— Excellente perte d’eau ! Continue !

Le tapis glissait, grondant comme un estomac. Lila tenta de sauter de côté, mais les Critters l’encerclaient, roulant, ricanant. L’un grimpa sur son épaule et lui mordit l’oreille avec la tendresse d’un baiser. Un autre s’agrippa à son mollet, mâchant avec des bruits de paille.

Les autres clients hurlaient à leur tour, et leurs cris se mélangeaient au rythme techno qui ne s’arrêtait jamais. Un homme sur un rameur se fit happer par la machine ; ses jambes disparurent, avalées jusqu’aux hanches, tandis qu’un Critter essuyait sa bouche avec une serviette et faisait un signe de pouce en l’air, hilare. Une femme accrochée à une barre de traction se balançait encore, vidée, sa peau pendante semblant flotter à la place de son corps. Un autre abonné, coincé sous une presse à cuisses, fut compressé dans un craquement humide avant que la machine ne rote doucement, libérant une vapeur rougeâtre.

Les Critters sautaient d’un appareil à l’autre, hystériques, couverts de sueur et de sang. Le sol glissait sous leurs griffes. Les miroirs reflétaient des morceaux de visages et des éclats de néons. L’air vibrait de bruits de mastication et de gargouillis de plaisir. Le tapis où Lila courait fut submergé par la marée poilue et carnivore, les Critters s’y agrippant comme à une proie trop juteuse pour être partagée.

Ils dévoraient en riant, se disputant des lambeaux de vêtements, se lançant des morceaux de bracelets connectés comme des trophées. Le sang se mêlait à la mousse des shakes, transformant la salle en un buffet d’horreur aux couleurs pastel.

Au-dessus du vacarme, Coach Kritz levait les bras, tel un prêtre exalté. Sa voix couvrit un instant la cacophonie :
— C’est ça, la forme, mes athlètes ! La vraie ! On brûle ensemble, on partage les gains !

Et, comme un écho macabre, la salle répondit en chœur : « Rien ne se perd, tout se mange ! »

La salle vibrait d’un fond sonore de mastication et de digestion.

— Le secret, expliqua Kritz, c’est la mastication progressive. On brûle les calories en les consommant directement. Rien ne se perd, tout se mange.

Lila trébucha, haletante. Les Critters se jetèrent sur elle. Le tapis s’ouvrit comme une gueule sous ses pieds, aspirant sa silhouette en un cri étouffé. Son bracelet connecté vibra une dernière fois avant de se taire.

Quelques secondes plus tard, un message clignota sur l’écran mural :

“-49,2 kg ! Félicitations, Lila !”

Le silence retomba, ponctué seulement par quelques rots satisfaits. Les Critters se léchèrent les babines et regagnèrent leurs casiers.

Au matin, la salle était impeccable. Les miroirs brillaient. Les tapis fumaient doucement. Et sur l’écran du comptoir, une nouvelle publicité tournait en boucle, comme si la salle elle-même avait tout orchestré. Le sang encore tiède dessinait des traînées qui menaient au stand promotionnel, où des gobelets de shakes attendaient, fumants. Une douce voix féminine s’éleva des haut-parleurs, suave et faussement apaisante : « Rejoignez-nous. Redéfinissez votre corps. Offrez-vous une silhouette à croquer. »

Une lumière rose inonda la pièce, effaçant les traces de chair et les ombres sur les murs, comme si la salle se refermait sur son secret. Dans un coin, un bras humain dépassait encore d’un distributeur de serviettes, bague connectée au doigt.

L’écran se mit à crépiter comme une vieille VHS et une voix-off joviale annonça : « Bienvenue à Muscle & Munch, la salle qui dévore vos limites ! »
Des images floues défilèrent : des silhouettes élancées sautillant sur des trampolines ensanglantés, des Critters en survêt faisant des pompes sur des corps immobiles, des shakes aux reflets métalliques servis avec des pailles en os. Une musique électronique aux accents 80s hurlait : Get fit or get eaten!

Une bannière clignotait en bas de l’écran : “Résultats garantis ! Programme Crunch & Burn – inscription à vie !”
Puis l’image se stabilisa :

Coach Kritz agitait un shaker d’un vert douteux et cligna de l’œil :

“Chez Muscle & Munch, on mord la graisse… et parfois, un peu plus.”

(Rire gras, écho de chaîne câblée nocturne)

Eh bien, mes petits carnivores du dimanche, on dirait que Lila a enfin trouvé un régime qui la mange de l’intérieur ! Ici, au Muscle & Munch, on ne gaspille rien : les graisses, les muscles, même les ambitions se recyclent.
Dans un monde où tout le monde consomme, c’est agréable de voir ceux qui se font enfin consommer à leur tour.

Allez, chers spectateurs, souvenez-vous : la prochaine fois qu’on vous promet un corps de rêve, vérifiez juste qu’il ne s’agit pas du vôtre.

(Ricanement qui se dissout dans un jingle fluo et le bruit d’un shaker démoniaque.)